Cap sur l’Assemblée Constituante: Pluralisme et représentativité

TUNIS (TAP) – La scène politique tunisienne a connu, depuis la révolution du 14 janvier 2011, une implosion de partis politiques, d’idéologies et de courants, remarquable prolifération qui traduit une soif de participation politique et d’exercice démocratique après des décennies de dictature et d’oppression.

Animés par une forte volonté populaire, soutenue par les acteurs politiques et la société civile, les tunisiens ont opté, le 3 mars dernier, pour l’élection d’une Assemblée Constituante fixée dans un premier temps pour le 24 juillet puis reportée au 23 octobre 2011.

A quelques heures du rendez-vous historique, les électeurs se retrouvent devant 1517 listes candidates, entre coalitions (34), partis (828) et indépendants (655).

Les candidats se disputeront les 217 sièges à pourvoir dans 33 circonscriptions: 27 en Tunisie et 6 à l’étranger.

Sur les 1625 listes candidates initialement, 106 ont été refusées pour non conformité aux critères: présence de mounachidin (personnes ayant appelé Ben Ali à se représenter en 2014), anciens responsables du RCD, non-respect du principe de parité, etc.

Les indépendants ont créé la surprise avec près de 43% des listes candidates, alors que l’on attendait une domination des partis politiques. Dans les circonscriptions à l’étranger, la surprise était plus grande avec 88 listes indépendantes sur les 152 listes candidates.

Pour les spécialistes en droit constitutionnel, ce nombre faramineux de listes candidates influencera le processus démocratique et le paysage politique qui naîtra des élections. La représentativité des partis se dispersera, alors que les indépendants ne tireront aucun profit.

Kaïs Saïd, professeur de droit constitutionnel, affirme que le paysage politique est constitué de personnalités et de groupes sans aucune assise populaire, « ce qui a causé, estime-t-il, doute et confusion chez les tunisiens ».

Les prochains rendez-vous électoraux, indique-t-il, opèreront une sélection naturelle qui fera disparaître un très grand nombre de partis et de formations politiques.

Une centaine de partis n’est pas synonyme de pluralisme politiques, a encore nuancé le spécialiste en droit constitutionnel, précisant que seuls 4 ou 5 courants idéologiques existent sur la scène: libéraux, socialistes, nationalistes, islamistes et communistes.

« Les listes indépendantes ne le sont pas toutes réellement, certaines ne cachent pas leur appartenance politiques alors que d’autres ne sont intéressées que par le financement public des candidatures », a-t-il expliqué.

Pour l’experte en droit constitutionnel Salsabil Klibi a souligné que la multiplicité des acteurs politiques a fait que le citoyen se trouve dans l’incertitude incapable de connaître la majorité des candidats à l’assemblée constituante.

Elle a appelé les électeurs à la vigilance et à choisir leurs candidats en toute liberté parmi ceux qui ont présenté leurs programmes.

En ce qui concerne le mode de scrutin, la proportionnelle au plus fort reste, le juriste Kaïs Saïd a expliqué que ce mode de scrutin donnera lieu à une assemblée constituante fragmentée. Les résultats des élections seront toutefois influencés dans une certaine mesure par le taux de participation.

Les électeurs adoptent, a indiqué M. Saïd, des positions à l’égard des courants politiques et une certaine désaffection à l’égard des partis. Ce fait explique, a-t-il dit le faible taux d’inscription et de participation à la campagne électorale et il y a risque que cela se répercute de nouveau le jour du vote.

Ce désintéressement s’explique a estimé M. Saïd par l’attachement à adopter des mécanismes qui rappellent ceux de l’ancien régime marqués par la tutelle et la marginalisation.

Pour la juriste Klibi, elle pense que le choix du mode de scrutin vise l’élection d’une assemblée constituante diversifiée où sont représentés le plus grand nombre de familles politiques, partis ou indépendantes.

Ce mode de scrutin, dit-t-elle, assure une véritable représentativité au sein de la Constituante appelée à élaborer la constitution du pays et à fixer les principes généraux pour la gestion des affaires du pays.

Elle a fait remarquer qu’il est tout à fait normal que le travail de l’assemblée constituante sera marqué, à ses débuts, par une divergence des points de vue et des accrochages, affirmant que le citoyen doit être patient et doit continuer à assurer le suivi et le contrôle de ces structures, dans la mesure où un consensus émergera de l’assemblée.

La prochaine composition de la Constituante reste ouverte à toutes les lectures et les suppositions et tous les scénarios sont possibles. La scène politique en Tunisie dépendra dans une large mesure de la composition de l’assemblée constituante et aucune analyse ne peut tracer les contours de la carte politique de la Tunisie post-élection.