Echanges d’infos, entraînements : les visages de la coopération franco-libyenne
| 07.09.11
Les services secrets français auraient-ils perdu leurs réflexes lors du « printemps libyen » ? Pendant plus d’une semaine, après la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi, l’histoire secrète de leur relation avec leurs homologues libyens est restée libre d’accès, à Tripoli, dans des locaux désertés et dans le bureau de leur chef, Moussa Koussa, parti en exil, sans qu’ils s’y précipitent.
L’examen des archives récupérées par l’ONG Human Rights Watch, vendredi 2 septembre, permettra sans doute de lever le voile sur les relations discrètes entre Paris et Tripoli. On sait d’ores et déjà, de source diplomatique, que des documents datant de 2003 figureraient dans ces archives. Le nom du directeur du renseignement de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, service d’espionnage français), à cette époque, est mentionné comme un contact régulier des autorités libyennes et de M. Koussa.
De même, selon un ex-officier de renseignement, d’autres pièces datées de 2003 et 2004 comportant quatorze numéros de téléphones français, dont un en Haute-Savoie, attesteraient d’une coopération entre Britanniques et Libyens dans le cadre de l’opération « Kamoka » de démantèlement d’une cellule de soutien logistique au Groupe islamique de combat en Libye (GICL) implantée à Londres. Cette source juge vraisemblable que la France ait été associée à cette enquête.
En décembre 2003, la renonciation complète de la Libye à tous ses programmes d’armes de destruction massive et sa décision de se prêter à toutes mesures de vérification avaient levé un obstacle majeur au retour en grâce du colonel Kadhafi sur la scène internationale. Un an plus tard, Jacques Chirac, chef de l’Etat, avait effectué, le 24 novembre 2004, la première visite officielle d’un président français dans ce pays depuis son indépendance, en 1951.
L’un des conseillers du premier ministre, François Fillon, a expliqué au Monde que la France avait multiplié ses contacts avec Tripoli à partir de 2004. De source proche de la DGSE, on confirme qu’entre 2004 et 2006, « des visites protocolaires régulières » ont été faites par les services français à Tripoli.
FORCES SPÉCIALES
De 2006 à 2011, les relations se sont approfondies. Les agents français sont allés régulièrement à Tripoli et ont procédé avec leurs homologues libyens, toujours selon la même source, à des « échanges d’informations de type analytique » sur la nébuleuse Al-Qaida. Début 2011, l’Elysée a été informé du projet de rencontre entre Moussa Koussa et les chefs de deux services de renseignement français, DGSE et DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, contre-espionnage).
La proximité entre les services français et libyens s’est également concrétisée en 2005 sur le terrain de la formation d’unités spécialisées. Cette année-là, la DST (ex-DCRI) a demandé à la société de sécurité privée française Geos d’assurer la formation des forces spéciales libyennes. « Après quelques mois, a rapporté, mardi 6 septembre, au Monde, le dirigeant de Geos, le général Jean Heinrich, ex-patron de la direction du renseignement militaire, la DGSE nous a dit qu’elle remplirait elle-même ce contrat et enverrait ses propres agents réaliser la mission. » La DGSE aurait également rempli d’autres missions « ponctuelles » d’encadrement des services de renseignement libyens ou de forces spécialisées. « La fin du contentieux franco-libyen, en 2006, sur l’attentat contre l’avion d’UTA a facilité les relations avec Tripoli », explique-t-on à Matignon.
Le ministère des affaires étrangères français a par ailleurs indiqué, mardi 6 septembre, que du matériel électronique destiné à espionner les opposants et les rebelles libyens avait bien été vendu à Tripoli par la société française, Amesys. « Le logiciel Eagle ne fait pas l’objet d’un contrôle à l’exportation, a précisé le porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valero, l’Etat n’a pas de visibilité sur son exportation ; nous démentons donc toute implication dans des opérations d’écoute de la population libyenne. » La DGSE s’est refusée à tout commentaire mais a tenu à rappeler que l’ensemble de ses activités en Libye s’inscrivait dans la lutte antiterroriste et notamment dans la traque, après 2001, des membres d’Al-Qaida et ses alliés, dont les combattants d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). De source proche de la DGSE, on ajoute que les contacts avec Tripoli « se sont avérés décevants car les Libyens ont fait preuve d’un faible engouement dans la lutte antiterroriste ».