Dans les coulisses du match Airbus-Boeing aux Émirats
Comme après chaque salon, la question est posée : Boeing ou Airbus ? Lequel des deux avionneurs sort vainqueur de la course aux contrats ? Dimanche, c’est Boeing qui ouvre la partie. Le jour de l’ouverture du Salon de Dubaï, l’américain abat une carte maîtresse : la commande par Emirates de 50 Boeing 777-300ER, le très efficace biréacteur long-courrier de 350 sièges. Ce contrat de 18 milliards de dollars (au tarif catalogue) est la plus grosse commande de l’histoire de l’avionneur. Un succès qui ne se dément pas pour Boeing, qui vient de mettre en production à Seattle le millième exemplaire de cet appareil, 16 ans seulement après son lancement.
L’A340 « allongé », qu’avait tenté de lancer Airbus en réponse au Boeing 777-300ER, n’a jamais décollé, ne se vendant qu’à 97 exemplaires. L’arrêt, annoncé à Dubaï, de la production de l’A340 à Toulouse clôt une page de l’histoire de l’aéronautique, où Airbus n’a pas toujours brillé. La future carte maîtresse du constructeur européen existe, mais elle attend sur la planche à dessin. Le biréacteur A350-1000, qui doit consommer 15 % de moins que le 777, a été retardé de deux ans et n’est pas livrable avant 2017. Trop tard pour Emirates, qui prévoit une forte croissance et renouvelle ses avions tous les sept ans.
Tensions
Les moyen-courriers Airbus A320neo, eux, se vendent comme des petits pains. Cette version neo, 15 % plus économe que la génération actuelle, lancée en janvier dernier, a déjà fait l’objet de 1 420 commandes et engagements d’achat. Boeing, avec son 737 MAX lancé en août, totalise malgré tout 700 commandes. À Dubaï, la filiale d’EADS comptabilise 211 commandes et engagements représentant quelque 20,5 milliards de dollars aux prix catalogue actuels. Sur ce total, 135 sont des commandes fermes portant sur 130 A320neo et 5 A380.
La signature des contrats n’est toutefois pas toujours de tout repos. Mardi matin, à la demande d’Akbar al-Baker, P-DG de Qatar Airways, la cérémonie de signature de 5 A380 et 50 A320neo est annulée. On se traite presque de noms d’oiseau : « Airbus est toujours en train d’apprendre comment on fabrique des avions », fustige al-Baker, mécontent, semble-t-il, du retard de l’A350 dont il est aussi client. Dans un salon feutré comme celui de Dubaï, cela fait désordre.
Vingt milliards de dollars chacun
L’apaisement viendra en fin de journée grâce à une médiation de Marwan Lahoud, bras droit du P-DG d’EADS Louis Gallois. Le contrat est finalement signé, mais son montant reste confidentiel. John Leahy, directeur commercial d’Airbus, salue alors « le professionnalisme inflexible et le sens du commandement d’Akbar ». Leahy est habitué avec ses clients à avaler des couleuvres. Pour signer au dernier Salon du Bourget les cent A320neo d’AirAsia, il avait dû accepter de danser dans une boîte de nuit parisienne avec le P-DG Tony Fernandez.
Que le client commande Airbus ou Boeing, le jackpot fonctionne à chaque fois pour le groupe Safran, qui fournit trains d’atterrissage, équipements divers et surtout les moteurs qui représentent entre un tiers et un quart du prix de l’avion. Ainsi, la filiale Snecma construit 23,5 % du moteur du Boeing 777. Avec General Electric, la firme française réalise tous les moteurs des Boeing 737 et la majorité de ceux des Airbus 320.
Un peu plus de 20 milliards de dollars pour Airbus, à peu près autant pour Boeing, les bons résultats du Salon de Dubaï, après ceux du Bourget en juin, confirment que l’industrie aéronautique ne connaît pas la crise, même si le transport aérien, lui, souffre beaucoup. À cela, une explication chronologique : les cycles n’ont pas les mêmes durées. Les compagnies à la trésorerie difficile peuvent commander aujourd’hui en ne versant que 5 % d’acompte. L’addition sera présentée quand les avions seront livrés, dans cinq ans. Les finances des compagnies, en principe, seront redevenues saines. Différer des commandes serait, en revanche, suicidaire, faute de disposer à terme d’appareils performants en pleine croissance du trafic.