France-Algérie – 17 octobre 1961 : « Pour une reconnaissance, pas une repentance »
Porte-parole du FLN algérien, Qassa Aïssi explique pourquoi la France doit s’excuser pour le massacre du 17 octobre 1961 à Paris.
« Un crime abominable », selon Bertrand Delanoë. Le 17 octobre 1961, près de 30 000 Algériens partisans de l’indépendance manifestent pacifiquement à Paris contre une mesure de couvre-feu imposée par les autorités françaises. Menée par le préfet de police de la Seine, Maurice Papon, la réponse sera terrible. Si le bilan officiel est de trois morts et de 64 blessés, causés par la « légitime défense » des policiers, l’historien Jean-Luc Einaudi n’hésite pas à avancer le chiffre de « plusieurs centaines de morts ». Porte-parole du Front de libération nationale (FLN), ancien parti unique qui était à l’origine de la manifestation et désormais membre de la coalition au pouvoir en Algérie, Qassam Aïssi appelle, sur le Point.fr, la France à reconnaître ce « crime d’État ».
Le Point.fr : Que vous évoque le 17 octobre 1961 ?
Qassa Aïssi : Les événements du 17 octobre 61 sont connus comme étant un grand massacre qui a touché des Algériens à Paris. Pour la guerre de libération nationale, pour nous Algériens, cette triste date restera dans l’histoire comme un crime d’État.
Que réclamez-vous aujourd’hui ?
À l’occasion du 50e anniversaire, nous demandons sa reconnaissance juridique par les institutions de la République française. Attention, nous n’utilisons pas le terme de repentance, mais de reconnaissance du fait colonial en général, qui est condamnable par essence. Le président Nicolas Sarkozy l’a déjà fait, en ce qui concerne les événements qui ont touché le peuple d’Arménie en Turquie en 1915. Or certains cercles en France, nostalgiques de l’Algérie française, possèdent encore une vision très particulière de ce qu’a été le fait colonial et des exactions commises à l’encontre du peuple algérien. Heureusement, il s’est élevé des voix en France qui considèrent que le moment est venu pour étudier avec sérénité ce passé douloureux, et reconnaître ces crimes.
Comment jugez-vous la position de Nicolas Sarkozy sur le sujet ?
Nous avons pu nous rendre compte que son discours de 2007 à Constantine [où il dénonçait le colonialisme, NDLR], n’a pas été suivi de faits. En raison certainement d’échéances électorales, certains cercles continuent malheureusement de cultiver la nostalgie du colonialisme, et continuent à vouloir nier la véritable histoire.
Qui sont ces « cercles » que vous mentionnez ?
Ils sont connus. Il suffit d’observer l’actualité française. Regardez la rhétorique des vieux frontistes et même d’autres personnalités de la majorité. Une loi a tout de même glorifié en 2005 la colonisation. Aujourd’hui, l’Algérie continue de vivre dans la douleur et de subir les éléments nés de la colonisation. Nous recevons toujours les effets des radiations des expériences atomiques au Sahara qui frappent aussi bien la population que l’environnement. Les champs de mines qui continuent à tuer chaque jour des Algériens dans les différentes zones frontalières, et pour des dizaines d’années.
Pourquoi le gouvernement algérien ne formule-t-il pas de demande officielle ?
Le président Bouteflika a fait connaître sa position durant ces différentes interventions, notamment en ce qui concerne le rapatriement des archives nationales sur la question. Des actions homéopathiques sont enregistrées sur beaucoup de choses.
Mais aucune demande officielle de reconnaissance ?
Nous n’avons cessé de le demander au FLN. Beaucoup d’autres partis représentant toutes les facettes de la vie politique nationale ont le même point de vue. Sur beaucoup de sujets ayant un caractère sensible, les gouvernements privilégient les canaux de la diplomatie. Et je ne crois pas savoir qu’il existe une position officielle de la France rejetant fondamentalement la position exprimée par les Algériens. Mais dans ce cas-là, on aimerait bien comprendre pourquoi ce qui est valable pour l’Arménie n’est pas valable non seulement pour les Algériens, mais également pour tous les pays touchés par la colonisation.
Quels sont les derniers chiffres du massacre dont vous disposez ?
De nombreux historiens se sont proposés pour effectuer un travail en commun sur la question. Rappelons que les seules images dont on dispose ont été fournies par les journalistes correspondants étrangers de l’époque, car les médias français ont été censurés durant toute la période. Nous savons néanmoins qu’un certain nombre de documents reposent dans les archives des différents services français. Mais la présidence française ne nous autorise toujours pas à les consulter. Les derniers chiffres dont nous disposons parlent de 350 morts. Mais cela ne traduit pas les ratonnades et les exactions qui ont été commises contre les travailleurs algériens, et toutes les mesures mises en oeuvre en Algérie, qui ont été directement transposées sur le sol français.
Cette question ne va-t-elle pas dégrader les relations franco-algériennes ?
Il faut bien faire la distinction. Comme l’avait dit le FLN historique, nous n’avons pas de haine contre le peuple français. Il y a quatre jours, nous avons d’ailleurs rendu hommage aux patriotes français qui nous ont aidés durant la guerre de libération nationale. Ils sont l’honneur de la France, et à travers eux, ce sont autant de Français avec qui nous envisageons l’avenir avec sérénité. Il faut dire que ce sont deux peuples appelés à travailler en commun, des deux côtés de la Méditerranée, qui est devenue un petit lac. N’oublions pas que les deux pays comptent des familles algériennes et françaises. Nous ne sommes pas dans la culture de la rancune. Nous demandons simplement au gouvernement français de tourner la page, sans la déchirer.
SOURCE Le Point.fr – Publié le 17/10/2011