En Tunisie, les violences familiales sont désormais un problème d’Etat

TunisieLes Tunisiennes sont désormais protégées par une loi contre les violences. Pourtant, de nombreuses inégalités subsistent.
C’est une avancée pour le droit des femmes en Tunisie. Après de longues tractations, le parlement votait le 26 juillet une loi qui lutte activement contre les violences faites aux femmes. Malgré cette nouveauté, les Tunisiennes sont encore largement victimes d’inégalités en tout genre. L’analyse d’Ahlem Beladj, médecin et membre de l’Association tunisienne des femmes démocrates.
En quoi consiste cette loi?
Le texte fournit aux femmes les outils adéquats pour demander à être protégées contre les actes de violence de la part de leurs maris et des membres de leurs familles, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il introduit la reconnaissance de toutes les violences: physiques, morales et sexuelles. La nouvelle loi comprend aussi des dispositions sur le harcèlement dans l’espace public et la discrimination économique. Enfin, elle abolit des mesures rétrogrades, comme le mariage des femmes avec leurs violeurs. La définition du viol a été élargie: elle concerne aussi bien les attouchements sexuels que le viol sur les femmes ou les hommes.
Quelles sont les statistiques concernant ces violences?
Les chiffres sont alarmants. Selon un rapport de l’Office national de la famille, 47% de femmes ont vécu une expérience de violence dans le cadre familial, 53% dans l’espace public. La prise en charge des victimes d’agression était inexistante jusqu’à cette loi.
Peut-on parler de «loi historique»?
Oui, absolument. Pour la première fois, nous avons une loi globalisante qui défend les victimes sur plusieurs axes: la prévention, la protection, la punition et la prise en charge. L’Etat s’engage à prendre les mesures nécessaires, en essayant de changer les mentalités par des cours de prévention. Le signalement des agressions devient obligatoire, ainsi que la punition. L’ordonnance d’éloignement de l’agresseur est maintenant inscrite sur le plan pénal. Les violences ne sont plus qu’une question d’affaire privée: c’est un problème d’Etat.Pourtant, de nombreuses pratiques rétrogrades subsistent, comme le test de virginité ou l’inégalité successorale…
Le test de virginité est illégal. Hélas, cette pratique est encore courante dans les mœurs de la société tunisienne. Ici, c’est une affaire de mentalité: les Tunisiens doivent s’autoéduquer et comprendre l’absurdité de ce genre d’action. Par contre, l’inégalité successorale (ndlr: l’héritage est divisé de moitié pour les femmes) est encore inscrite dans la loi. C’est d’ailleurs notre prochain combat pour la parité entre hommes et femmes.
La Tunisie, le pays le plus progressiste du monde arabe?
Le Code du statut, qui a été voté sous Bourguiba en 1956, était très progressiste pour l’époque. Il donne à la femme une place majeure dans la société tunisienne, abolit la polygamie, permet le divorce et n’autorise les mariages que si les époux sont mutuellement consentants. Rappelons qu’en 1957, le droit de vote est accordé aux Tunisiennes, ce qui est une première pour le monde arabe… Et même bien avant la plupart des pays occidentaux, dont la Suisse. Néanmoins, ce code est désormais dépassé. Il reste de grands écarts d’inégalités, comme l’obligation d’un «chef de famille» masculin, le droit de succession et les discriminations politiques et institutionnelles envers les femmes. Le chemin est encore long. (TDG)